Journal de bord. Le 8 juin 2020, à 15 heures

8 juin 2020, 15 heures

Alors, vous êtes-vous déjà levé en vous disant qu’une bonne journée bien remplie vous attendait ? Et vous êtes-vous déjà rendu compte, au beau milieu de la journée, qu’en fait, tout partait en sucette, sans avoir la moindre idée du moment où tout ce chaos prendrait fin ?

Nous étions confinés dans nos cellules depuis le 6 juin 2020, lorsque des membres du personnel pénitentiaire sont venus prélever des échantillons buccaux pour effectuer des tests du Covid-19. Hier matin, ils sont arrivés dans mon unité et ont effectué ces tests. Ce n’était pas grand chose. C’était pour moi une journée comme une autre, j’écoutais de la musique, j’écrivais des courriers, lorsque les gardiens ont entamé la tournée des douches. Mon voisin y va presque à chaque fois, mais pas ce jour-là, alors, j’attrape mes affaires et j’y vais.

Les gardiens me laissent prendre ma douche et à leur retour, ils essaient d’ouvrir ma porte… Pas moyen ! Oooooh, non ! Pour ouvrir les cellules, le gardien de service appuie sur un bouton, ce qui permet de déverrouiller la porte, que le gardien ouvre en la laissant glisser latéralement.

On me fait sortir de la douche puis on m’installe dans la salle de promenade. Le responsable arrive, on ouvre la porte manuellement puis je rejoins ma cellule. Le problème, c’est sans doute que le bouton qui actionne la porte n’a pas été changé depuis 35 ans et qu’il s’est délogé de son emplacement. Je me dis qu’ils vont appeler le gars de la maintenance qui changera l’interrupteur.

Cinq minutes plus tard, le gardien m’ordonne de faire mes bagages – je déménage. QUELLE GALERE ! Je déteste changer de cellule, vous n’imaginez pas à quel point ! Et ce qui se passe dans ce trou à rat, c’est qu’on n’a jamais son mot à dire en la matière.

Il y a la manière simple : on remballe ses affaires et ont suit docilement, ou la manière forte : cinq salopards en tenue anti-émeute vous aspergent de gaz lacrymo, pénètrent dans votre cellule, vous tabassent puis vous passent les menottes et vous trainent, alors que vous avez les yeux qui brûlent et le dos en compote, puis vous jettent dans votre nouvelle cage. Vous savez, c’est comme ces images des protestations que vous avez vues aux infos, où les policiers frappent, lancent des bombes lacrymo, et arrêtent les manifestants. C’est exactement ça ! C’est comme ça qu’ils agressent les détenus depuis toujours, mais je m’éparpille.

Je décide d’adopter la manière simple pour mon déménagement. A 16 heures, on m’installe dans une autre cellule de cette unité. Tout va bien pour moi, je m’adapte à tous les environnements où je suis incarcéré, donc pas de soucis. Le soir arrive, je passe un moment sympa à discuter avec mes tout nouveaux voisins.

A 18 heures, les gardiens sont de retour. On me dit que je dois encore changer de cellule. Ils font sortir un détenu de la population de droit commun de sa cellule, on m’attribue la sienne puis on laisse une cellule vide entre la mienne et celles de la population de droit commun. Je ne suis pas installé depuis 5 minutes qu’on m’annonce que je dois remballer mon paquetage ! C’est pas une blague. Alors, on nous emmène, moi et mes affaires, de l’unité C à l’unité A, puis on me conduit à la cellule N°14 – dans l’antichambre de la mort, là où vivent les gars en attente de leur exécution. Je suis on ne peut plus sérieux !

Maintenant, c’en est fini de jouer au petit ours bien docile. Il n’est PAS question que je reste dans une cellule équipée d’une caméra de surveillance 24h/24. Seulement, alors que je suis dans la salle commune, le responsable vient me parler et me dit qu’ils vont réparer la porte de mon ancienne cellule et que je pourrai regagner l’unité C avant qu’il ne quitte le travail le jour-même, à  17h30.

Donc, je pénètre dans la cellule 14. Ils arrivent toujours à vous faire accepter un peu plus que ce à quoi vous étiez prêt à consentir.

Je m’installe dans la cellule 14, toutes mes affaires sont dans des sacs ; il est 18h30. Je suis à côté de Ruben Gutierrez et quelques cellules plus loin se trouve Carlos Trevino. Au bout de la rangée, il y a aussi Billy Wardlow. Je connais ces gars depuis 20 ans maintenant. Nous prenons tous le temps de discuter et de nous saluer. Ils sont incrédules et me charrient quand je leur raconte mes péripéties et me lancent que leur section était un passage obligé pour leur rendre visite ! Tout ce que je peux faire, c’est secouer la tête et m’asseoir sur la couchette métallique.

Assis dans cette cellule, je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi… Pourquoi est-ce qu’un événement pareil, qui doit arriver maximum une fois dans une vie, me tombe dessus tout à coup ? Et puis surtout, pourquoi est-ce que l’ennemi s’évertue à ce point à me faire lâcher prise ? Qu’est-ce qui m’attend à la prochaine étape ? De quelle chance, de quel miracle veut-il me priver ? Pourquoi déploie-t-il tant d’efforts pour me faire trébucher si prêt du but ?

Parce que les règles sont ainsi : on traverse des épreuves, on perd la foi, tout espoir disparaît, puis le miracle tant convoité vous échappe. Le truc, c’est que je connais les règles de ce jeu qu’est la vie, jamais je ne capitulerai. Pas question que je ploie sous le fardeau et que je perde la foi. Ce foutu diable ferait mieux de quitter la partie s’il pense me faire craquer. Parce que ça n’arrivera pas. C’est précisément maintenant que je suis particulièrement vigilant et tente de prévoir l’inattendu. C’est maintenant que je reste assis sans bouger, que j’ai les oreilles grand ouvertes, que je médite, que je prie, que je fais bien attention que rien ne me fasse exploser en plein vol.

Midi arrive, Ruben sort répondre à un appel téléphonique de son avocat. Il est à une semaine de sa date d’exécution programmée. Quand il revient, il nous détaille la stratégie de son avocat. A mon humble avis, il a des arguments solides, on verra s’il obtient un sursis.

Je sors mon poste de radio et écoute les nouvelles, tout en continuant de retourner dans tous les sens dans ma tête  ce qui m’arrive. De temps à autre, je ris moi-même du côté surréaliste de la situation.

Je me poste contre la porte et Trevino me dit que j’aurai de la chance si je suis transféré aujourd’hui. Le dernier gars à qui la mésaventure est arrivée est resté coincé ici toute une semaine ! Et bien sûr, il éclate de rire ! Ah ah !

Vers 15 heures, je commence à m’inquiéter. Lorsque le gardien passe par là, je lui demande d’appeler le responsable pour voir ce qui se passe. Il accepte et environ une heure plus tard, il me dit que l’escorte est là pour mon transfert. C’est un petit miracle et, posté devant la cellule, je me moque de Trevino tout en regardant les gardiens charger mon paquetage sur le chariot. Je souhaite bonne chance à tous les gars et nous quittons l’unité et retournons au bloc C. Vingt-quatre heures plus tard, après avoir changé de cellule 4 fois, je suis de retour dans mon ancienne cellule. Il est 16 heures. Et ce n’est pas fini, je dois encore remettre en ordre tout mon petit univers ! Quelle journée ! Que de péripéties !