Journal de bord du 6 au 9 août 2020

Journal de bord du 6 au 9 août 2020

Jeudi 6 août 2020

Cela fait maintenant un mois d’affilée que nous sommes en confinement pour raisons médicales. Un ami ici m’a fait remarquer que ce confinement semblait sans fin. Je crois que c’est à cause de l’isolement total que nous subissons. J’ai la même impression et j’en suis venu à ressentir du dégoût vis à vis des avocats qui représentent chacun des détenus du couloir de la mort. On dirait qu’ils ne voient pas de problèmes à ne plus être tenu de passer davantage de temps à rendre visite à leurs clients et à communiquer plus avec eux. Comprenez bien que ces salauds cherchent toujours activement à nous assassiner tous. J’en bous de rage. Le juge, les procureurs et les avocats en appel se sont habitués à  “se la couler douce chez eux”, à travailler grâce à Zoom, etc. Et nous, nous sommes privés de communications dans ce nouvel ordre devenu « normal ». C’est un long tunnel obscur qui court devant moi, sans lueur à l’horizon. Tout ce que l’on peut faire, c’est continuer d’avancer. Le danger numéro un, ce sont les gens qui travaillent ici, et qui quittent l’unité chaque jour pour aller Dieu sait où, puis qui reviennent pour me contaminer peut-être au Covid-19. Nombreux sont les réfractaires au port du masque ; ce sont eux les plus dangereux de tous. Logiquement, ils ne portent pas de masque du tout en dehors de la prison, s’ils sont si réticents à en porter un au travail. Donc, ils vont attraper le virus puis contaminer tout le monde à la vitesse grand V dans le couloir de la mort du Texas. J’en ai froid dans le dos rien que d’y penser, mais c’est la triste vérité ici.

Vendredi 7 août 2020

Je me suis dis que je devais retranscrire plus en détail mon quotidien et l’impact de ce qui se passe dans le couloir de la mort du Texas sur ma vie en ce moment. Personne ne sait qui peut présenter des symptômes de la maladie, qui vivra ou qui mourra dans cette nouvelle réalité. Alors, si quoi que ce soit devait m’arriver, les autres sauront comment j’aurai été sacrifié. Ce matin, le commandant pénitentiaire a lancé l’ordre de faire prendre les douches. Puis, à 8 heures, les gardiens ont reçu l’ordre de nous escorter pour la promenade individuelle. J’ai passé un temps dans la salle de jour pour la première fois en un mois. J’ai porté mon masque pendant l’intégralité des 2 heures de mon temps de promenade. Apparemment, ils accordent un temps de promenade à seulement 25% de la population d’une unité à la fois. Au lieu de laisser les 6 sections (14 hommes par section) sortir de leur cage pour un temps de promenade. Deux sections seulement ont eu la possibilité d’avoir un temps de promenade. En l’espace de 4 heures, les promenades étaient terminées et plus personne n’est sorti. C’est sans queue ni tête, nous sommes tous des hommes placés à l’isolement, notre temps de promenade se prend seul, alors, pourquoi est-ce que seulement 25% des détenus du couloir de la mort on pu sortir de leur cellule pour la promenade ? Nous avons reçu ce soir un repas “chaud” normal pour le dîner, c’était nettement mieux que 2 sandwiches. A ce stade, la quantité de nourriture importe plus que sa qualité. Nous avons donc reçu un plateau complet de nourriture et tout le monde était content.

Samedi 8 août 2020.

Nous sommes déjà samedi et maintenant, on dirait qu’on entre dans une nouvelle phase de la vie du couloir de la mort du Texas. Quand je me suis réveillé, les gardiens escortaient les détenus pour leur douche tôt ce matin. Mais pas de promenade. Nous avons appris que tous les détenus qui travaillent dans le bâtiment, aux cuisines et dans l’équipe de nettoyage etc. avaient pu reprendre le travail.

Du coup, on dirait que c’est la bousculade pour “rouvrir l’unité”, mais de façon sélective, c’est-à-dire que les douches seront quotidiennes, mais qu’aucun temps de promenade ne sera accordé les sept jours de la semaine.

Nous avons reçu un sac en papier pour le petit-déjeuner mais 2 plateaux repas normaux chauds pour le déjeuner et le dîner. Les détenus habilités à travailler en cuisine sont de retour. A titre d’information, c’est pour eux plus économique de nous donner des repas normaux plutôt que tous ces sandwiches dégueu, donc ça leur va.

On a aussi appris que les amis et la famille du monde libre pouvaient de nouveau nous commander des colis alimentaires “ecomm”. On nous a dit aussi que la prochaine fois qu’on aurait l’occasion de cantiner, on pourrait dépenser la somme maximale, et non plus seulement 15$. En d’autres termes, les responsables déclarent qu’ils n’y a pas eu d’autres tests positifs au Covid-19. C’est intéressant, quand on pense au fait qu’aucun nouveau test n’a été effectué depuis la dernière tournée qui avait permis de déceler 800 cas positifs ! Nous présenterait-on des faits alternatifs sur le sujet qui nous intéresse ?

Dimanche 9 août 2020.

Me revoilà en train d’écouter les infos. Le monde continue de perdre la boule. Aujourd’hui, 2 autres sections ont eu un temps de promenade. Vendredi, les sections A et F ont eu leur temps de promenade. Aujourd’hui, les sections B et E y ont eu droit. On dirait qu’ils vont sauter un jour ou deux, puis laisser deux autres sections aller en promenade. En gros, on aura la possibilité d’aller en promenade une fois par semaine. Et je suis censé être heureux que ces salauds me laissent sortir de ma cage une fois par semaine ? Excusez-moi si je continue de râler ! Je connais le piège: ils vous retirent le peu de privilèges auxquels vous avez droit puis vous en restituent la moitié et vous êtes censé être reconnaissant ! Ce qu’ils doivent nous rendre, ce sont nos parloirs. Si on a zéro cas de Covid-19, alors, on devrait avoir des visites. Pourquoi est-ce que leurs “faits alternatifs” ne s’appliqueraient pas ici aussi en notre faveur ? Ha ha! C’est de la pure folie. Aujourd’hui, il fait plus frais ici et ça fait du bien. Mon allergie, mon rhume des foins m’embêtent beaucoup moins et c’est un énorme soulagement. J’arrive à penser un petit peu mieux et je tente d’écrire autant que je le peux. Je m’y adonne à corps perdu et me libère ainsi de mes chaînes, parce que je ne suis pas ici lorsque j’écris des lettres à des amis. Je suis bien loin de cet endroit et en ce moment, cela me convient parfaitement ! Je veux bien être n’importe où, pourvu que ce ne soit pas dans cet enfer, alors, j’ai hâte d’y retourner, et, ainsi, de quitter mentalement ma cellule !