Chanter dans la tempête

Nouvelles du couloir de la mort du Texas – le 10 mars 2018.

“Chanter dans la tempête nous a permis de nourrir notre attachement à notre identité, notre sens de la famille, et notre sens de la communauté” – Dr Cornel West

C’est en 1998 qu’a commencé cette histoire qui a mené à mon arrestation, à mon jugement et à ma condamnation à mort pour un crime dont je suis innocent. Alors que je me replonge dans les premiers instants de ce cauchemar, je tente de comprendre ce qui m’est arrivé, et comment j’ai pu survivre à ce traumatisme. Mes pensées me ramènent à mon enfance, à ma famille, et je sais à présent que j’ai eu la chance d’avoir une mère et un père qui ont fait de leur mieux avec le petit garçon que j’étais, un bambin curieux et plein d’énergie, comme monté sur des ressorts, incapable de rester inactif. Ma famille n’était pas parfaite, c’est le moins que l’on puisse dire, mais l’amour nous soudait, et chacun faisait de son mieux pour manifester cet amour par des gestes et des paroles.

C’est mon père qui assurait notre subsistance. C’était un travailleur acharné, qui dirigeait son entreprise familiale dans le domaine du bâtiment. Je me rappelle avec émotion des moments passés avec mon papa à bord de son pick-up, lorsqu’il faisait le tour des chantiers pour faire le point avec les ouvriers, lorsqu’il s’entretenait avec les propriétaires, ou qu’il allait au dépôt de bois pour acheter des matériaux. Pendant ces moments-là, mon père partageait beaucoup avec moi, notamment son amour pour la musique, et je ne me rendais pas compte que c’était comme si je me trouvais sur les bancs de l’école, parce qu’il m’apprenait à être un homme.

Je souris et pense à mon père tout le temps, parce que je mets en œuvre les compétences qu’il m’a enseignées au jour le jour, tandis que je m’emploie à conquérir ma liberté et, surtout, que je garde espoir et crois en de meilleurs lendemains, fidèle à cet état d’esprit que papa m’a légué. Il m’a appris à rêver et à ne pas avoir peur de travailler dur, à me fixer des buts et à tout faire pour les atteindre, dans la foi que Dieu est toujours à mes côtés, et qu’il m’aidera à tenir le cap.

Ainsi, mon père m’a donné les outils pour supporter cette situation et il m’a appris à croire en moi, en Dieu, et à être convaincu que si je déploie tous les efforts nécessaires, Dieu fera le reste.

Ma mère aussi a eu sur moi une influence considérable, elle était toujours là quand j’avais besoin d’elle, et elle m’a montré qu’elle m’aimait, moi, son petit dernier, en me distribuant sans compter câlins et baisers.  Maman travaillait auprès de mon père au bureau, comme secrétaire à temps partiel, coursier, et aussi comme mère à temps plein : elle portait toutes ces casquettes à la fois ! Je sais à présent, toutes choses considérées, que j’ai eu de la chance de naître dans cette famille qui est la mienne, et qui a su m’inculquer les principes et les valeurs qui régissent ma vie aujourd’hui.

Je partage souvent avec les personnes qui me sont proches le fait que je m’applique à être quelqu’un de bien aujourd’hui, parce que c’est la bonne chose à faire. Pas parce que le couloir de la mort du Texas m’a brisé et que je me dis que “je dois obéir” et suivre les règles et règlements. Non. Je suis toujours, de bien des façons, la même tête de mule que j’étais lorsque j’ai commencé ce périple, mais je me rends compte aujourd’hui qu’adopter une bonne conduite est la seule façon de mener mon existence si je veux avoir une bonne qualité de vie. Et puis, je veux que mes proches et que mes amis soient fiers de l’homme que je suis et de celui que je suis devenu.

Ce sont les fondations que j’ai en moi ; je viens d’un milieu où ma mère comme mon père étaient de braves gens, des personnes honnêtes et travailleuses. Ils étaient optimistes et étaient animés par la foi chrétienne. Ils ont fait du mieux qu’ils ont pu pour semer cette foi en moi et en mes frères et sœurs et, en un mot, ce sont eux qui m’ont appris comment chanter dans la tempête, sachant que tout finira forcément par aller mieux.

De bien des façons, les deux décennies que j’ai passées, enfermé dans le couloir de la mort du Texas, ne me donnent pas l’impression de vraiment correspondre à vingt années. Ici, parce que les jours se suivent et se ressemblent tous, les semaines, les mois, et même les années se confondent. Et, d’une certaine façon, ce n’est pas plus mal. Ce que je veux dire par là, c’est que, si chacune des journées que j’ai passées dans ce camp de la mort d’un nouvel âge était restée gravée dans ma mémoire, dans mon cœur et dans mon âme, j’aurais abandonné il y a longtemps. J’aurais laissé derrière moi quelques chansons biens tristes et un monticule à l’endroit de ma tombe fraîche. Pour être clair, cet endroit est un enfer ; le couloir de la mort du Texas est un camp de concentration des temps modernes, où mes amis sont assassinés au nom de l’[in]justice les uns après les autres. Alors que passent les semaines, les mois et les années, et que je suis enfermé dans une cage pour un crime que je n’ai pas commis, j’ai perdu mon père, décédé en 2016, et, ma mère bien aimée soufflera ses 80 bougies le 19 mars. Je crois que, sans ces fondations, je serais incapable de trouver le moyen de me mettre au travail pour gagner ma liberté, d’œuvrer pour le bien et d’être obsédé par l’idée de prouver mon innocence, au lieu d’être obnubilé par le fait que chaque jour qui passe me rapproche un peu plus de mon assassinat autorisé par la loi. Sans ces bases, j’aurais abandonné il y a longtemps et me serais laissé mourir.

Si je n’avais pas eu ces fondations que m’ont données mes parents, et qui m’ont permis de nourrir mon attachement à ce que je suis, j’aurais été perdu il y a bien longtemps. Je leur en serai à jamais reconnaissant.

Ce qui me fascine, c’est que ce dont j’ai eu besoin pour préserver ma santé mentale ces 20 dernières années m’est essentiellement venu instinctivement. Pour moi, c’était naturel de vivre ma vie pleinement chaque jour. Naturel pour moi de m’investir à fond dans tout ce que je fais. Naturel de tenir des propos irréprochables. Et ce n’est que lorsque je me suis mis à lire des textes de développement personnel et des écrits spirituels que je me suis rendu compte que ces clés du succès que les maîtres nous ont données étaient des choses que je pratiquais déjà.

Ce qui me fascine aussi, c’est de penser que l’une des leçons les plus importantes que j’ai dû apprendre et sur lesquelles je me suis calé pour vivre ma vie m’ait été enseignée par mes parents. Cette leçon, c’est la vérité qu’il existe une Force qui nous transcende dans l’Univers et la croyance et la foi en cette Puissance qui nous dépasse.

Lorsque je me suis retrouvé dans des situations où rien ne pouvait m’aider, sinon Dieu, j’étais réconforté par cette foi et cette croyance que les choses iraient mieux plus tard. Je ne savais pas comment ni quand, mais j’y croyais et m’appuyais, et m’appuie toujours, sur ma foi.

Ainsi, 20 ans plus tard, je me retrouve dans une situation incroyable, à un carrefour de ma vie. Nous avons vécu le miracle du sursis qui m’a été accordé, ce qui a ensuite donné lieu à l’audience en examen de preuves. Maintenant, cette audience est derrière nous, et c’est inouï de constater à quel point cette audience s’est bien passée pour nous, et à quel point nous sommes confiants dans le fait que la cour d’appel rendra une décision favorable, décision qui m’ouvrira très bientôt les portes de la liberté. Aujourd’hui plus que jamais, je crois du plus profond de mon être que nous verrons s’accomplir la deuxième partie du miracle, c’est à dire ma liberté, qui deviendra réalité.

Et ce n’est pas une coïncidence que, sachant comment chanter et danser malgré la tempête, vivre dans la gratitude et dans la foi absolue et la croyance en Dieu m’ait fait cheminer pour atteindre ce moment précis de mon périple. Car les nuages sombres commencent à s’écarter et, derrière eux, j’aperçois le soleil. Cette lumière me rappelle qu’un nouveau départ s’annonce pour moi : le début de la deuxième partie de ma vie, où je serai libre et loin, bien loin du couloir de la mort du Texas !

Le 10 mars 2018.

Charles D. Flores No. 999299

Couloir de la Mort du Texas – Unité de Polunsky