Hommage à Lily

Samedi 16 mars 2019.

« Comme j’ai de la chance d’avoir quelque chose qui rende les adieux si difficiles. »

–Winnie l’Ourson, A. A. Milne

Le 31 octobre 1969, je suis né à Big Springs, au Texas ; j’étais le plus jeune des six enfants qu’auraient mes parents, Carter et Lily Flores. Une fois atteint l’âge de dix ans, mes frères et ma sœurs, plus âgés, avaient quitté le domicile familial et, de bien des manières, c’était comme si j’étais fils unique. Nous n’étions plus que trois à la maison, Maman, Papa et moi. Mon père était propriétaire et gérant d’une entreprise de toiture et de bâtiment et ma mère l’aidait dans son activité. Elle s’occupait du secrétariat et livrait aussi sur les chantiers les matériaux dont les membres de l’équipe d’ouvriers avaient besoin. Elle m’amenait et venait me chercher chaque jour à l’école aussi. Souvent, maman faisait les courses que lui demandait mon père, passait à la poste déposer du courrier, allait faire un dépôt à la banque et, dans la foulée, venait me rechercher à l’école. De ce fait, je passais beaucoup de temps avec ma maman. Pendant les premières années de ma vie, nous étions un duo inséparable.

Je repense à cette époque et à tout l’amour que mes parents m’ont donné. Ma mère était de nature affectueuse ; elle me câlinait, m’embrassait et me répétait qu’elle m’aimait. Et, ce faisant, elle m’a appris à aimer à mon tour. C’est la toute première personne que j’ai aimée dans ma vie. Je me rappelle qu’étant petit garçon je faisais des câlins et des bisous à ma mère parce que je l’aimais plus que quiconque. C’est mon plus grand amour et ce le sera toujours. Ainsi, de ce point de vie, ma vie est différente de celle d’autres détenus. J’ai eu une maman et un papa qui m’aimaient beaucoup, qui étaient toujours là pour moi, peu importe le type de situation où je me trouvais, ou ce que je traversais. Mes parents ne m’ont jamais tourné le dos et ne m’ont jamais fermé leur porte. Même lorsque j’ai été envoyé dans le couloir de la mort du Texas, ils ont continué de me soutenir et quand je n’avais personne d’autre qu’eux, quand personne ne savait qui j’étais, ma mère et mon père étaient toujours là pour moi.

Je repense à ces jeunes années, aux moments précieux que nous avons eus, ma mère et moi, quand on passait l’après-midi ensemble. Parfois, on allait chercher du bois de charpente pour les ouvriers, puis on le livrait sur le chantier, en faisait un arrêt chez l’épicier. Et, parce que j’étais son petit chéri, on passait au Mac Drive du coin et elle m’achetait une glace ou une gourmandise à grignoter. C’est ainsi que maman et moi sommes devenus amis, et lorsque je suis devenu adolescent puis jeune adulte, nous sommes restés proches. Elle était non seulement ma mère mais aussi une amie que j’adorais et en qui j’avais confiance.

Par bien des aspects, je lui ressemble. Je me souviens que pendant mes jeunes années, Maman allait rendre visite à ses sœurs et toutes ensemble, elles passaient un merveilleux moment, à rire, à plaisanter, à profiter à fond de chaque journée. Maman était quelqu’un de joyeux et, en présence de ses proches, sa joie était visible. Et vous savez, la vie est ainsi, on voit ses parents vivre leur vie et on tend à les imiter. On peut dire que c’est ma mère qui m’a appris à aimer et à rire, à être heureux, à goûter au bonheur. Au fil du temps, la vie s’est parfois compliquée pour mes parents et les sources de stress se sont multipliées pour maman, mais chaque fois qu’elle me rendait visite avec papa, on riait, on discutait, on passait un moment magique tous ensemble. A l’époque mes parents me rendaient visite au moins une fois par mois, ils étaient encore relativement jeunes et pouvaient faire le long trajet nécessaire pour me voir puis rentrer chez eux en une journée. Ma mère adorée et mon père continueraient de faire le déplacement pour me rendre visite jusqu’à ce que le grand âge et les soucis de santé les en empêchent.

Mes parents et moi avons toujours entretenu une correspondance, nous nous échangions des courriers chaque semaine. J’écrivais à la maison au moins une fois par semaine, parce que je savais que Maman s’inquiétait pour moi et que je voulais la rassurer, lui dire que j’allais bien, que j’étais en bonne santé et en un seul morceau, qu’elle n’avait pas à s’en faire. Puis elle m’écrivait et me racontait ce qui se passait à la maison : ce que faisaient mes frères, les visites de ma sœur, elle me parlait de ses petits Chihuahuas, Bandit et Little Red, qui, dans le grand âge, étaient des compagnons tellement importants pour elle. Et puis, ma mère était quelqu’un d’exceptionnel, elle me faisait des confidences, me disait à quel point elle m’aimait, plus que quiconque en ce monde. Elle m’aimait comme seule une mère en est capable et tenait à ce que je m’en souvienne après sa disparition. Et, de mon côté, je faisais de mon mieux pour lui exprimer toute mon affection, je lui disais à quel point elle comptait pour moi,  que je l’aimais plus que quiconque ici bas. Je crois qu’elle le savait, car elle m’a appris à aimer les autres ; je faisais de mon mieux pour montrer à Maman, encore et encore, à quel point je l’aimais.

J’ai été envoyé dans le couloir de la mort du Texas à l’âge de 29 ans. Il m’a fallu quelques années pour comprendre ce qui était essentiel dans ma vie, le fait étant que je ne parvenais pas à distinguer les arbres de la forêt, à voir ce qui était devant mon nez. Seulement, une fois que l’essentiel m’est apparu, j’ai commencé à partager mon évolution avec ma mère.

Si je me suis battu bec et ongles pour prouver mon innocence et gagner ma liberté, c’était d’abord et avant tout pour, un jour, pouvoir retourner chez moi et consacrer ma vie à m’occuper de mes parents adorés qui m’ont soutenu toutes ces années. Depuis le début, c’était mon objectif, la raison d’être de mon combat. Et dès que j’en avais l’occasion, que ce soit face à eux, lors des parloirs ou dans les courriers que j’envoyais à la maison, je rappelais ce fait à ma mère et à mon père et leur disais qu’une fois que je serai rentré, ils pourraient se reposer, parce que je m’engageais à pourvoir à chacun de leurs besoins jusqu’à leur départ. Ensuite, je vivrais pour moi, car j’en aurais amplement le temps. Ceux qui me connaissent bien savent que c’était une vérité absolue dans ma vie, car rien ne passait avant mes parents après que j’ai vu la lumière et que j’ai compris ce qui était essentiel dans la vie.

Le 19 mai 2016, ma famille et moi avons perdu mon père, Carter Flores, à l’âge de 79 ans. Pour moi, son départ a été difficile, mais pour ma mère, ce fut dévastateur. Elle avait vécu avec mon père 49 ans de sa vie, et il n’était plus. Sur bien des points, je ne crois pas que maman se soit vraiment remise de la perte de mon père. Pour moi, le décès de papa avait quelque chose de surréaliste, parce qu’à ce moment-là, j’étais à quatorze jours de mon exécution programmée et que je crois que j’ai réprimé cet événement, que j’ai planqué ce traumatisme tout au fond de moi, que je me suis efforcé de rester concentré sur mon combat. Mais c’était dur pour Maman, c’est ce qu’elle me disait ; à  compter de ce moment, notre principale raison de vivre était la même. Maman a commencé à vivre pour le jour où je serais libéré, où je reviendrais à la maison, où je serais avec elle, et où je consacrerais ma vie à faire tout ce que je pourrais pour y parvenir et m’occuper d’elle. Maman en plaisantait, d’ailleurs, elle me disait de me dépêcher ! Elle m’attendait et voulait que je rentre vite à la maison. Je lui disais : j’essaie Maman ! Tiens bon encore un peu, je reviens dès que je peux, je te le promets.

Eh bien, l’impensable est arrivé il y a seize jours. Ma mère adorée, Lily Flores, nous a quittés le 28 février 2019. Elle avait 80 ans et onze mois lors de son grand passage, sachant que Maman a vu le jour le 19 mars 1938. Voilà, Maman est partie et ne reviendra pas, il n’y a rien d’autre à dire. Il n’existe pas suffisamment de mots au monde pour décrire ma peine, ma tristesse, suite au décès de ma mère, alors, je n’essaierai pas d’en parler. De plus, maman ne voudrait pas que je sois triste ou que j’aie le cafard. Non, elle voudrait que je sois heureux, que je rie, que je vive, que j’aime la vie le plus possible. Ça, je le sais, et j’essaie d’honorer sa mémoire ce faisant, mais parfois les émotions me submergent parce que j’ai perdu la personne que j’aimais le plus au monde. Je n’arrive pas à réaliser que désormais, Maman et Papa ne sont plus là, que je n’ai plus de foyer, que le rêve que nous partagions, à savoir que je rentre à temps pour m’occuper d’eux, n’est plus.

Alors, au lieu de vous parler de ma tristesse, je vais partager un souvenir qui m’est cher. L’une de mes chansons préférées au monde s’intitule « Love me like a rock », par Paul Simon. Je me rappelle que j’écoutais cette chanson étant enfant, et que j’aimais alors sa mélodie entraînante et ses paroles. Depuis que je suis dans le couloir de la mort du Texas, c’est devenu l’un de mes airs préférés. Vous voyez, dans un couplet, Paul Simon dit que sa maman le prend dans ses bras, que son amour pour lui est solide comme le roc, et chaque fois que cette chanson passe à la radio, j’augmente le volume et je pousse la chansonnette moi aussi. Parce que même si cela fait vingt-et-un ans que je n’ai plus senti les câlins et les baisers et tout l’amour de ma mère, si je ferme les yeux et repense à ma mère en train de me serrer contre elle, de m’embrasser, de m’aimer, l’espace d’un instant, je suis de nouveau un petit garçon. Et ça, personne ne pourra jamais me l’enlever. Ma mère n’a pas à s’inquiéter, jamais je n’oublierai à quel point elle m’a aimé, jamais.

J’ai énormément de chance d’avoir eu une mère si merveilleuse, tellement que lui dire adieu m’est si difficile. Parce que, sans l’ombre d’un doute, l’amour que sa maman a prodigué à ce petit bonhomme était solide comme un roc. J’aimerai toujours ma mère et me souviendrai à quel point elle m’aimait en retour. Toujours.

AMOUR, PAIX, ESPOIR ET RIRES !

Charles Don Flores N°999299

Couloir de la mort du Texas

Le 16 mars 2019.